Nous vous écrivons enfin à nouveau depuis le large. Après une première étape depuis la Vendée jusqu’aux Canaries, nous avons pu profiter d’une magnifique escale sur l’île de La Palma. Les 87 Mini et leurs skippers, ainsi que les sept bateaux accompagnateurs s’y sont retrouvés, petit à petit, au rythme des différentes arrivées.
Course extraordinaire en solitaire sur ces petits bateaux, sans communication avec la terre, sans assistance. Nous avons pu découvrir l’état des marins à l’arrivée, une fatigue profonde, des visages marqués, des hommes et femmes qui nous racontent leurs histoires du large, situations parfois compliquées, seuls, en pleine mer, difficilement imaginable pour les amis/familles restés à terre.
Après une dernière semaine de préparation intense pour tous les skippers, nous quittons les pontons le samedi 28 octobre, pour se rendre sur zone. CiCadA marque, par sa présence, le bord gauche de la ligne de départ, nous assistons donc à un spectacle magnifique pour ce début de transatlantique, bateaux et skippers se battant pour ne laisser aucune place aux autres concurrents, avant d’en découdre sur les 2 700 milles nautiques qui nous séparent des Caraïbes. Après un départ dans des conditions légères, l’ensemble des marins se dirige lentement vers le sud. La bonne humeur et la joie de se retrouver à nouveau en mer se fait ressentir sur les ondes. Petites blagues et extraits brefs de musique animent la flotte sur le canal 77. Nous naviguons entre La Palma dans notre sillage, Tenerife et son Teide, sommet que beaucoup sont allés gravir pendant l’escale, plus haute montagne d’Espagne dominant l’archipel à plus de 3 700 mètres, La Gomera et El Hierro dans notre sud.
Magnifique coucher de soleil au milieu des îles, lever de lune extraordinaire, le ciel nous offre un superbe spectacle avant cette première nuit en mer. Un magnifique rorqual, cétacé mesurant plus de 20 mètres, nous rend visite. Nous voyons son dos rainuré par les années, admirons le souffle de sa respiration en surface, avant qu’il ne plonge dans les abysses. Nous descendons, dans la nuit de samedi à dimanche le long de l’île El Hierro, vent très faible. Après une journée de lundi à tricoter dans les dévents des Canaries, la deuxième nuit de navigation s’avère être plus sportive. Nous récupérerons du vent d’ouest, et remontons chercher ce flux vers le nord-ouest. Quelques 15 nœuds de vent (27km/h) et une houle de deux mètres de face nous rappellent que les conditions et la notion de confort à bord peuvent vite évoluer au large.
Nous pensons fort à tous les Ministes, qui dans ces conditions, sont « sous l’eau » pour les pointus et dont les coques des bateaux tapent fort sur la mer formée pour les « scows ». Les esprits ne sont plus à la rigolade, nous sentons dans la voix des concurrents que cette deuxième nuit n’est pas de tout repos. Il fallait évoluer dans une mer croisée difficile, sans avoir eu le temps de s’amariner. Dès le sud de El Hierro, la prise de décision et les choix de chaque skipper peut être déterminants pour la suite de la course. Un groupe décide de partir sud, voire sud-est, zone calme pour l’instant, mais qui permettra peut-être de rejoindre la route des Alizés plus rapidement.
L’option Ouest, proche de l’orthodromie, semble la plus conservatrice, tandis qu’un groupe d’une dizaine de coureurs décide de partir sur l’option nord, zone avec du vent, qui permet de ne pas rester « collé » en ces premiers jours de course. Après une journée de lundi difficile, des échanges VHF parfois inquiétants (panne de compas, problème d’aérien, problème électronique, mal de mer), les marins semblent récupérer de cette mer difficile, mais font désormais face à une zone de vent très faible. Le soleil est revenu, la mer s’est calmée et les esprits s’adoucissent. Les discussions radio reprennent aujourd’hui, discutant des options, bords favorables et autres virements de bord vers le sud-ouest ou le nord-est.
La totalité de la flotte attend désormais les alizés afin de glisser au portant vers la Guadeloupe. Malgré une situation météo spéciale sur l’Atlantique et des décisions stratégiques importantes, les Ministes gardent un bon moral. Ce n’est que le début de cette grande aventure, pour laquelle les skippers ont tout donné ces deux-trois dernières années. Les jeux sont ouverts et rien ne sera fait avant d’avoir coupé la ligne d’arrivée devant La Guadeloupe.
Pierre Dutilleux, Skipper de CiCadA.