Quelle course ! Je vous écris depuis le milieu de la flotte, nous sommes actuellement à environ 1 000 milles nautiques à l’ouest / sud-ouest des Canaries, à quelques 1 600 milles de La Désirable et de la Guadeloupe. Cette dernière semaine fut assez intense, tant au niveau des différents choix météo et stratégiques des skippers, tant au niveau des conditions de vent et de mer. Dimanche dernier, nous quittons le sud de El Hierro, dernière île de l’archipel des Canaries, à partir de là, tout est permis !
« Les opportunistes » passent le sud de l’île et remontent aussitôt au nord-ouest, d’autres décident de rester sur une route proche de l’orthodromie, au près, avec un vent de secteur sud-ouest, chose plutôt inhabituelle dans les environs. Enfin, les sudistes, groupe d’une quinzaine de skippers plongent au Sud, voire au sud-est, loin de la route orthodromique, quitte à rester dans une zone de vent très faible pendant quelques jours, prix à payer pour rejoindre les alizés avant les petits copains.
Depuis CiCadA, nous sommes à une place privilégiée pour assister à cette régate en solitaire sur ces bateaux de course, en direct du milieu de l’Atlantique. Début de semaine, le vent de secteur sud-ouest nous oblige à tirer des bords, la flotte s’éparpille et les contacts VHF deviennent rares. Nous avons la chance, en tant que bateaux accompagnateurs, d’avoir une communication satellite, et donc de pouvoir télécharger des fichiers météo et ainsi, calculer des routages précis sur Adrena. Les Ministes eux, bénéficient seulement d’une vacation BLU (radio grandes ondes) quotidienne, avec le classement en distance par rapport au but et une analyse météo générale sur la zone Atlantique Nord, jusqu’aux Antilles.
Les vacations radio VHF quotidiennes (06.00am et 18.00pm) laissent désormais place à quelques communications éparses, lorsque nous avons la chance de croiser la route des concurrents. Lors de situations compliquées sur le plan d’eau, comme c’est le cas en ce début d’étape, c’est un quasi silence radio. Il est en effet difficile pour les skippers de prendre le temps de parler, dans une mer formée, désagréable. Lundi dernier, les brefs contacts avec eux font état d’une mer difficile pour les bateaux mais aussi pour les organismes. Certains sont malades, la plupart sont épuisés. Nous réalisons l’engagement total de ces femmes et hommes et admirons leur état d’esprit.
Milieu de semaine, les conditions s’améliorent et nous permettent de communiquer à nouveau avec la flotte. Le canal VHF 77 s’anime, tout le monde semble content de pouvoir prendre le temps de parler à nouveau. Le moral des troupes remonte en flèche. Ça discute technique, météo. Ça chante et rigole de nouveau. Lorsque que le soleil se réveille, que le vent du nord-est reprend ses droits et que la mer se range, les communications reprennent. Mercredi, nous croisons en tête de flotte Carlos Manera Pascual, grand spi de sortie, surfant à 13 nœuds dans les alizés. Balcon arrière arraché dans la nuit, il est super content d’avoir pu réparer au petit matin et d’être repartit à pleine vitesse sans avoir perdu trop de milles.
Robinson Pozzoli, en chasse derrière ne lâche rien. Je communique ensuite avec Gaby Bucau. La dernière fois que je l’ai eu en mer, c’était au large du Portugal lors de la première étape, alors qu’il venait de chuter violemment de son mât. Il est désormais dans la tête de flotte, et malgré des petits soucis d’électronique (qu’il réparera dans la journée grâce à ses pièces de rechange), il est en pleine forme, super motivé pour glisser à pleine vitesse dans les alizés.
Nous croisons Julien Letissier, toujours de bonne humeur. Nous apprécions beaucoup parler avec Julien. Il navigue de manière très propre. Nous voyons de superbes trajectoires de sa part. Il nous donne des nouvelles de Thaïs Le Cam qui semble avoir été malade sur les premiers jours depuis les Canaries à cause de l’eau du bord. Malgré cela, nous admirons sa remontée folle auprès des premiers, à des vitesses avoisinantes les 14 nœuds. Aller Thaïs !
Étant bâbord amure, nous croisons la route d’un petit groupe, avec à sa tête Bruno Lemunier qui profite de la journée pour essayer de dormir un peu et ainsi pouvoir être en veille et faire marcher le bateau la nuit. Il nous prévient qu’il est passé à seulement quelques mètres d’une baleine, a dû abattre en grand afin de ne pas toucher le gigantesque mammifère, moment un peu chaud mais qui reste magique.
Aglaé Ribon navigue de manière exceptionnelle, son Pogo 2 au milieu des Pogo et des Maxi 6.50. Elle ne se pose pas trop de question quant à la différence de bateau avec ses concurrents. Elle me parle de cette expérience de fou qu’est la Mini Transat. Nous rigolons quelques minutes. Nous nous remémorons les petites anecdotes d’escales puis partons chacun sur nos bords respectifs.
Nous croisons aussi sur la route, Yaël Poupon et Djemila Tassin. Très belles trajectoires en tribord amure, ils filent, grand spi en tête, quasi sur l’orthodromie avant de se recaler en bâbord vers le sud pour aller chercher un beau flux d’est plus constant. La journée de jeudi sera celle de nombreuses rencontres, après une nuit avec une mer assez formée, dans laquelle les Minis filent à vive allure, nous rencontrons à nouveau quelques têtes familières. Thomas André est en pleine forme. Il pointe à des vitesses impressionnantes. Il plonge désormais dans le sud et nous laisse bord à bord avec notre ami Gaëtan Falch’un » qui va très bien aussi.
Le jeune Hugo Cardon a une super forme. Il évoque un « enfer », bateau et vêtements détrempés, grands surfs dans la houle de l’Atlantique. Lui et son bateau sont au top de leur forme. Hugo a une bonne voix, nous sommes tous les deux très heureux d’avoir pu communiquer à la VHF au milieu de cet environ qui parfois peut se révéler un peu hostile, surtout dans ces petits bateaux qui filent toutes voiles dehors à pleine vitesse au milieu de la nuit.
Aussi, le copain Hugo Mahieu, aka « La Tortue », semble avoir « trouvé les manettes ». Il évoque un mauvais départ où il a pas mal perdu dans le dévent des îles Canaries, endroit très compliqué pour régater. Hugo ne lâche rien, il dit être en mode Pac-Man, à grignoter sur chaque concurrent, mental d’enfer ! Alexandra Lucas assure avoir « joué les gros bras » pour en arriver là. Ayant une super position dans la flotte, elle décide de réduire la voilure : un ris et spi medium afin de préserver sa machine. Elle va très bien et profite à fond de cette aventure en solo.
Nous croisons la route de notre amie Anne Liardet, légende de la course au large, qui fait une magnifique deuxième étape, à la hauteur de son expérience. Son « Shaman » se porte très bien, elle nous fait part de conditions « musclées », un ris dans la grand-voile + spi medium, voiles qui lui permettent de tenir la cadence dans le peloton.
En cette journée de jeudi 2 octobre, nous apprenons grâce à des relais VHF que notre ami Diego Hervella, sur le plus vieux bateau de la flotte, a arraché son safran tribord. Il semble « dégouté », mais le connaissant, il ne lâchera rien. Très bon bricoleur, nous avons confiance en son expérience en mer. Nous décidons de nous rapprocher de lui afin d’avoir un contact VHF en direct. Quelques heures plus tard, nous réussissons enfin à le joindre. Le découragement et la déception laissent désormais place à la réflexion. En effet, Diego avait réussi un très bon début de course. Il continue maintenant sous spi medium afin de ne pas perdre trop de distance sur le groupe dans lequel il navigue. Il établit une stratégie pour sa réparation. Il garde actuellement un bon rythme. Il a tenu à nous faire part de son état d’esprit. Nous dire que malgré les problèmes techniques, il souhaite performer et profiter de cette transatlantique dont beaucoup rêvent. Il évoque le bonheur d’être en mer à régater avec les copains, la magie des rencontres pendant cette course, la joie de se retrouver aux escales ainsi qu’ici, au milieu de l’Atlantique. Sacré bonhomme !
Tous les marins sont trempés, ils se font valser, la chaleur commence à se faire ressentir. Malgré cela, ils gardent tous un gros moral. Après avoir mené leurs projets pendant quelques années, effectué leur navigations qualificatives et courses de pré-saison, ils réalisent maintenant qu’ils y sont. Qu’ils sont là, à surfer à grande vitesse cette houle désordonnée de début d’alizés, ce qu’ils sont venus chercher !
En cette fin de semaine, nous apprenons par Denis Hugues et Annabelle Moreau de la Direction de course, que Robinson Pozzoli est victime d’une avarie majeure. A ce moment, nous sommes alertés et informés que « Uoum », magnifique proto plan Finot-Conq (même architecte que notre CiCadA), a heurté un OFNI (objet flottant non identifié). Choc terrible, bruit de carbone fracassant, départ au tas… Il prévient alors Gaby Bucau, non loin de sa position, de la situation d’urgence. A ce moment-là, Robinson craque. Comme tout grand marin, il reprend vite ses esprits, essaie de remettre « Uoum » sur la piste, bouche le trou (large comme le poing de la main) avec tout ce qu’il trouve, écope, et enfin, prend le temps d’analyser les dégâts. Voie d’eau au niveau de la varangue de pied de mât, safran bâbord explosé, le coup est dur. Nous sommes alors à 70 milles nautiques dans son sud-est, décision immédiate de mettre cap au nord-ouest. Nous serons sur zone au début de la nuit. Quelques heures plus tard, nous arrivons à portée VHF de Robinson. Il semble posé, organisé, déterminé. Plaque de carbone, scie à métaux, mastique/colle, la réparation d’urgence a été effectuée. Il tient à rassurer ses proches, remercier la Direction de course, les marins autour. Je sens alors Robinson très fort mentalement. Il nous informe que la suite de sa course se fera en mode « dégradé », et qu’il mettra plus de temps que prévu. Il semble donc que ses rêves de victoire s’envolent. Malgré cela, il s’organise, relativise. Il a de l’eau, un avitaillement en nourriture suffisant afin de tenir quelques jours en plus. Il me parle à la VHF, moment très émouvant pour nous deux. Il me dit se sentir très reconnaissant d’avoir un certain soutien, même ici, au milieu de nulle part. Je ressens dans ses mots une extrême détermination à finir la course, et la finir avec la manière. « Pierre, je ne vais rien lâcher ! », phrase qui conclura cette communication.
Le lendemain, samedi, nous recroissons sa route afin de prendre des nouvelles, il file alors entre 7 et 9 nœuds. Il garde le moral et reste motivé malgré la grande déception.
En ce beau week-end, la compétition continue pour les petits copains. Nous croisons Grégoire Chéron, Willy Muller, tous deux super heureux d’être là, bateaux et bonhommes en pleine forme, malgré la difficulté des conditions de mer dans ces petits Mini. Enfin, en ce dimanche 5 novembre, nous parvenons à joindre Francesco Farci, ainsi que Jonas Gomes, tous les deux en pleine forme !
Aujourd’hui, 13.00pm TU, je reçois un relais VHF de Willy Muller, nous informant que Xavier Condroyer est victime d’une avarie de safran tribord. Il a une pièce de rechange dans son Mini et va effectuer la réparation cet après-midi. La flotte étant très étendue, nous n’avons bien évidemment pas pu entrer en contact avec tout le monde, les autres bateaux accompagnateurs sont à leurs côtés
Ces skippers naviguant sur la Mini Transat dans ces petits bateaux de course extraordinaires, ont un mental d’acier. Tous ont des problèmes physiques ou techniques. Certains craquent complètement, avant de se ressaisir, de réparer, de se reposer et de repartir de plus belle.
Cette dernière semaine, le même sentiment se fait ressentir de tous : ce bonheur d’être en mer, cette joie d’être enfin arriver là après tant d’effort. Ces marins, hommes et femmes m’ont tous dit « vivre une expérience incroyable, entourés de gens géniaux ».